« Quand il s’agit d’argent, nos valeurs fondamentales sont vite oubliées »
Lisa Mazzone, conseillère aux États et présidente de la Société pour les peuples menacés, s’engage pour des critères de développement durable plus stricts dans l’accord avec le Mercosur. Si le Parlement refuse d’accéder à ces demandes, les Verts lanceront un référendum.
- Cet article a été publié dans le magazine de Public Eye (numéro 21, Janvier 2020). Il est publié ici avec l’autorisation de Public Eye. Un grand merci !
- Propos recueillis par: Simon Jäggi
Une délégation autochtone d’Amazonie a sévèrement critiqué la Suisse lors d’une visite au mois de novembre dernier et estime que notre pays s’enrichit sur la misère des autres. Partagez-vous ce point de vue ?
La délégation autochtone a bien compris le fonctionnement de la Suisse, notamment en matière de politique commerciale. Je partage cet avis : lorsqu’il s’agit d’argent, nos valeurs fondamentales sont vite oubliées.
En Suisse, différents acteurs de la société civile, des associations d’agriculteurs à Public Eye en passant par Pain pour le Prochain, se sont réunis au sein de la coalition Mercosur. Qu’est-ce qui les rassemble ?
Nous sommes ici à la convergence des intérêts des agriculteurs, des consommateurs et de tous ceux qui s’engagent pour la solidarité internationale. Ensemble, nous pouvons exercer une pression plus forte. Nous ne sommes pas contre le principe d’un accord de libre-échange, mais nous demandons au Conseil fédéral d’opter pour des critères de développement durable contraignants. La protection des droits des autochtones, des droits humains et des normes sociales et environnementales doit figurer de manière contraignante dans cet accord.
Comment de telles règles peuventelles être appliquées ?
Nous avons besoin de critères clairs, de contrôles et de possibilités de sanctions. Ce serait une première sous cette forme dans la politique commerciale suisse, c’est donc un défi qu’il est urgent de relever. La mondialisation menace l’environnement, les droits humains et la justice sociale dans de nombreuses régions. La Suisse importe aujourd’hui déjà de nombreuses marchandises qui ne sont pas produites de manière durable. Nous devons accroître la pression sur les autres pays, notamment dans le cadre des prochains accords de libre-échange.
Vous demandez l’aménagement de possibilités de sanctions. Quelle forme pourraient-elles prendre ?
Une possibilité serait par exemple de n’autoriser des quotas d’importation que pour des marchandises produites de manière durable pour la société et pour l’environnement. La Suisse doit aussi exclure toute possibilité de libreéchange pour les produits qui ne satisfont pas à ces exigences minimales. Une clause de retrait doit aussi être ajoutée pour qu’il soit possible de résilier l’accord si les différentes parties ne respectent pas ses dispositions. Il est intéressant de voir que les voix critiques se font plus nombreuses au sujet de l’accord, et pas uniquement en Suisse. Le scepticisme grandit dans d’autres pays européens, et bien entendu aussi dans les pays du Mercosur.
Importer plus de viande du Brésil tout en protégeant les droits humains et l’environnement… n’est-ce pas contradictoire ?
Même si la Suisse n’importait que les marchandises produites dans des conditions durables, elle participerait, par le biais de cet accord, à la croissance nuisible de l’industrie de la viande et du fourrage. Nous connaissons l’ampleur des conséquences négatives de la consommation de viande sur l’environnement, nous savons dans quelles conditions la viande est produite au Brésil. Les animaux sont nourris avec du soja génétiquement modifié, lui-même cultivé sur d’anciennes forêts tropicales déboisées. Personne ne profite de cette situation – ni les consommateurs, qui veulent des aliments de bonne qualité, ni les agriculteurs, qui sont forcés de faire diminuer au maximum les coûts de production aux dépens de l’environnement, ni le climat ou les peuples autochtones. Il pourrait cependant être intéressant d’améliorer les importations de la Suisse sans pour autant les faire augmenter.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Le Conseil fédéral doit encore donner son feu vert à l’accord, après quoi le Parlement prendra une décision. Je ne suis cependant pas certaine que le nouveau Parlement se montrera plus regardant que le précédent en matière de libre-échange. S’il décide de n’imposer aucun critère de durabilité clair ni aucune possibilité de sanction, les Verts lanceront un référendum.
Ce serait la première fois que les électeurs auraient à voter sur un accord de libre-échange. Quel sera le résultat, selon vous ?
Il est temps de laisser les citoyen·ne·s prendre les décisions à ce sujet! Il s’agit, en fin de compte, d’une alliance avec les consommateurs. Il s’agit de savoir quels types d’aliments vont finir dans nos assiettes. Je suis convaincue que la majorité de la population souhaite que les aliments qu’elle consomme soient produits dans le respect des droits humains et de manière durable.