Luc Recordon, à nouveau simple citoyen
Lorsque j’ai envoyé en avril 1970, à l’âge de quatorze ans, une lettre de lecteur à feue la Tribune de Lausanne en demandant que la majorité civique soit abaissée de vingt ans à dix-huit, je savais que j’allais m’engager durablement pour la chose publique, ce qui est à mes yeux, la définition et le sens de « faire de la politique ». Mais je n’avais pas la moindre idée d’une carrière politique.
Ensuite, pendant toutes les années 70, ma conception de cet engagement s’est concrétisée par le syndicalisme universitaire (AGEPOLY, UNES, FAE), par le combat contre le pouvoir dominant dans mon canton et par les luttes antinucléaires (en subissant une charge de CRS près de Creys-Malville en 1976), ainsi que par la participation au Conseil général du village de Jouxtens-Mézery, ce qui ne nécessitait alors pas de se faire élire. Soucieux d’une écologie pleine et véritable, j’ai contribué en 1983 à constituer Alternative démocratique, avec notamment Anne-Catherine Menétrey, l’écrivain Gaston Cherpillod et Christian van Singer. Il s’agissait d’un mouvement qui a perduré – sous le nom d’Alternative socialiste verte – jusqu’à la création des Verts vaudois, pour qui la défense de l’environnement ne pouvait se concevoir sans un fort volet social et sociétal, compte tenu que la vie humaine forme un tout non seulement à sauvegarder mais à équilibrer.
La militance et les institutions
J’ai réalisé progressivement que la bagarre, comme disait mon ami Michel Glardon, un éditeur social remarquable*, exigeait qu’on la porte aussi dans le cadre institutionnel. Je devins donc successivement, en 1990 membre de l’exécutif (municipalité) de ma commune et député au Grand Conseil vaudois, en 1997 un des premiers coprésidents des Vert∙e∙s vaudois∙es, en 2003 conseiller national, en 2007 conseiller aux États (à ma grande surprise), en 2012 membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Aujourd’hui, je redeviens avec plaisir un citoyen de base.
Ce que je retiens de plus fondamental de ce parcours, c’est que, dans le domaine de la politique institutionnelle comme dans la vie quotidienne, nous restons toujours un-e parmi beaucoup, une sorte de « particularité de champ » (non pas électrique mais des êtres vivants) qui émerge un moment avec la vocation de redescendre bientôt, avec surtout la tâche de rendre service aux diverses communautés humaines dont on fait partie. Corollaire : on détient alors un pouvoir sur les autres qui est exorbitant à la règle « pure » de la démocratie, entorse représentative inévitable pour des raisons pratiques. Mais momentanément. Le respect d’autrui veut qu’on en use avec ménagement, que l’on attende d’être sollicité-e pour se porter candidat-e à une fonction et que l’on s’efface spontanément pour meilleur-e- que soi lorsque apparaissent de nouvelles personnalités pour prendre le relais. Je me suis efforcé de suivre ces règles.
Luc Recordon
* fondateur avec l’écrivain Gilbert Musy des Éditions d’enbas en 1976.