L’essentiel en bref

  • En ratifiant l’Accord de Paris sur le climat, la Suisse s’est engagée à limiter le réchauffement mondial à 1,5°C.
  • Pour atteindre ses objectifs climatiques, la Suisse doit rendre ses flux financiers climat-compatibles. Or, nous en sommes loin : la place financière suisse contribue aujourd’hui encore à un réchauffement de 4°C à 6°C.
  • La présente synthèse propose un plan de réduction du CO2 à la fois contraignant pour la place financière et compatible avec l’Accord de Paris.

Contenu

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Situation

En ratifiant l’Accord de Paris, la Suisse s’est engagée à limiter le réchauffement mondial à 1,5°C. Or, même limité, ce réchauffement a déjà un impact : extrêmes météorologiques tels que sècheresses, inondations ou tempêtes deviennent aujourd’hui de plus en plus fréquents. En Suisse aussi, et pas seulement dans les montagnes où les glaciers fondent très rapidement : l’agriculture souffre de périodes de sècheresse inhabituellement longues, des hivers de moins en moins neigeux mettent à rude épreuve la végétation, des cours d’eau asséchés ou trop chauds n’offrent plus un milieu naturel sûr pour les poissons. Dans les villes, les seniors souffrent des canicules estivales. Enfin, réchauffement et pollution environnementale, ainsi que la perte d’espaces vitaux et de biodiversité qui en résultent, représentent les plus grandes menaces sanitaires actuelles.

Limiter le réchauffement mondial à 1,5°C est LE défi de notre siècle. Pour atteindre cet objectif, il faut une transformation écologique ambitieuse de notre économie et de notre société. La place financière suisse y endosse une responsabilité particulière, car c’est un poids lourd à l’international : les banques suisses gèrent une fortune d’env. 8’000 milliards de francs[1] ; un quart de la fortune mondiale gérée hors frontière l’est en Suisse.[2] La Banque nationale suisse possède, après le Japon et la Chine, la 3e plus grande réserve de devises et participe au marché des actions à hauteur de centaines de milliards de francs, ce qui représente de fait le plus grand fonds étatique au monde. Les fonds de prévoyance des employées ou employés suisses placés sur le marché des capitaux dépassent le produit intérieur brut.

Ce sont d’abord les consommatrices ou consommateurs et les entreprises de l’économie réelle qui mettent à rude épreuve – ou non – l’environnement. Une réglementation perspicace en faveur du climat et de l’environnement doit par conséquent agir ici. En encourageant les technologies proclimatiques (p.ex. pour produire du courant ou des systèmes de chauffage durables), en posant des normes de consommation et de production socio-écologiques (p.ex. grâce à des prescriptions sévères en matière d’émission pour l’immatriculation de nouveaux véhicules) ou encore en rendant les coûts transparents (p.ex. grâce à une tarification rigoureuse du CO2). Ces mesures rendront les investissements durables financièrement attrayants. Cependant les protagonistes de la place financière déterminent et influencent de multiples manières, où et à quelles conditions les flux financiers circulent… et donc dans quelle mesure ceux-ci mettent – ou non – l’environnement sous pression : en tant qu’investisseurs ou investisseuses, en tant qu’intermédiaires entre celles ou ceux qui ont du capital et celles ou ceux qui en ont besoin, ainsi qu’en tant qu’analystes qui, via leurs analyses et estimations des risques, livrent des bases décisionnelles pour les entreprises de l’économie réelle. En effet, les analystes endossent une responsabilité cruciale pour atteindre les objectifs climatiques suisses.

Or, entre, d’une part, la volonté exprimée tant par le Conseil fédéral que par le secteur de rendre la place financière suisse durable et, d’autre part, la réalité, c’est le grand écart : à l’heure actuelle, la place financière suisse investit dans la prospection, l’extraction, le transport, le raffinage et l’utilisation de ressources fossiles dans le monde entier. Un rapport de Greenpeace Suisse montre qu’à elles seules, les deux grandes banques que sont l’UBS et le Crédit Suisse, en finançant le secteur international du charbon, pétrole ou gaz, sont coresponsables chaque année de davantage d’émissions qu’à l’intérieur de notre pays.[3] La place financière suisse continue à investir considérablement, non seulement dans l’extraction du pétrole et du charbon, mais également dans son extension.[4] Elle participe ainsi à un réchauffement de 4°C à 6°C.[5] Tout ceci est loin de correspondre à l’objectif de l’Accord de Paris, de rendre les flux financiers climat-compatibles. Cela doit – et peut – changer.

Car les investissements peuvent en effet avoir un impact non seulement destructeur, mais aussi bénéfique tant pour l’environnement que pour la société. De par sa taille et son importance internationale, la place financière suisse dispose d’un levier particulièrement puissant pour lutter contre le réchauffement, la pollution environnementale et l’érosion de la biodiversité. C’est notamment le cas dans les domaines où les réglementations de la Suisse ne peuvent avoir d’impact, p.ex. lorsque via sa place financière on investit à l’étranger ou accorde des crédits à des entreprises (multinationales) étrangères. Il est donc grand temps que les flux financiers s’orientent vers un scénario à 1,5°C de réchauffement, comme le requiert l’Accord de Paris que la Suisse a ratifié ; faute de quoi, ses objectifs ne pourront être atteints.

En raison du puissant effet de levier de la place financière suisse, l’assemblée des délégué-e-s des VERT-E-S suisses a mandaté la base du parti pour rédiger la présente synthèse, en y associant différent-e-s spécialistes internes ou externes. Celle-ci rassemble les revendications-clés face à une place financière Verte et orientée vers une durabilité généralisée et vient ainsi compléter le plan climat des VERT-E-S. Elle montre comment la place financière suisse peut – et doit – contribuer à réaliser les objectifs climatiques de Paris et à limiter le réchauffement mondial à 1,5°C maximum.[6]

À cette fin, trois axes sont aux yeux des VERT-E-S au premier plan : il faut d’abord un plan de réduction de CO2 contraignant pour la place financière suisse qui soit compatible avec l’Accord de Paris. Ce plan vise notamment à interdire immédiatement d’investir dans des activités particulièrement nocives pour le climat et l’environnement, comme extraire des carburants ou combustibles fossiles, tels que du pétrole ou du gaz issus de sables bitumeux ou de la fracturation. Ensuite, il faut définir de manière contraignante et efficace la durabilité et rendre les marchés financiers plus transparents, afin de soutenir les investisseuses et investisseurs dans leurs placements et d’empêcher l’écoblanchiment. Enfin, il faut mobiliser suffisamment de capital public ou privé pour la transition vers un avenir social, proclimatique et écologiquement durable. Ce qui requiert au minimum que les fonds publics ainsi que l’argent de la prévoyance placé sur les marchés financiers soient systématiquement investis dans des placements durables.

Que signifie durabilité?

Actuellement, la durabilité sur les marchés financiers se limite trop souvent à la compatibilité climatique. Et lorsque l’on parle de risques climatiques, on ne pense qu’aux risques financiers auxquels sont confrontées les entreprises, leur valeur et les perspectives de bénéfice en raison du réchauffement croissant du climat. Or, c’est très réducteur.

Pour les VERT-E-S, une place financière durable requiert une définition globale de la durabilité. Nous avons pour objectif, une place financière qui vise systématiquement à encourager une évolution économiquement, écologiquement et socialement durable et donc les 17 objectifs du développement durable de l’ONU[7]. Nous avons pour objectif, une place financière qui évite non seulement les risques financiers, mais également un impact négatif de son activité sur le développement durable. Quant à l’environnement, cela signifie que les investissements et les activités ne peuvent être considérés comme durables que s’ils sont au minimum compatibles avec l’Accord de Paris et donc basés sur un scénario de réchauffement terrestre de 1,5°C au maximum et que s’il est prouvé qu’ils n’affectent pas la biodiversité. Quant à la durabilité sociale, les objectifs de développement durable de l’ONU servent de référence pertinente, quoique difficile à mettre en œuvre.

Pour y parvenir, tou-te-s les protagonistes des marchés financiers – notamment banques, gestionnaires de fortune, caisses de pension et institutions de prévoyance, assurances, Banque nationale et autorités de surveillance – doivent y participer aux niveaux de leurs placements et du changement de paradigme.

Un plan de réduction du CO2 contraignant pour la place financière et compatible avec l’Accord de Paris

À l’unisson du secteur financier traditionnel, le Conseil fédéral a annoncé en été 2020 qu’il entendait faire de la Suisse une référence mondiale en matière de services financiers durables.[8] Pour y parvenir, il ne veut cependant mettre sur pied aucune des mesures qu’il a pourtant identifiées, car il fait entièrement confiance au marché. Comme le souhaite le secteur. C’est le grand écart entre la volonté de jouer les chefs de file et la réalité.

Après le rejet de la loi sur le CO2, qui aurait au moins exigé de publier les risques climatiques institutionnels et les risques pour la stabilité financière[9], la Suisse n’a aucune prescription légale contraignante pour orienter les flux financiers vers le scénario de 1,5°C de réchauffement terrestre. Pour y parvenir, il faut au moins interdire immédiatement de financer l’ouverture de nouveaux gisements ainsi que l’extraction de combustibles fossiles particulièrement climaticides, tels que pétrole ou gaz issus de sables bitumeux ou de la fracturation. Étant donné que nous avons déjà plus de réserves en combustibles que nous ne devrions en consommer, si nous voulons nous en tenir au scénario de 1,5°C, rien ne justifie de financer l’ouverture de nouveaux gisements.[10] Ceux-ci ne devraient d’ailleurs pas permettre de gagner de l’argent.

Les risques purement économiques de tels investissements étant en outre toujours sous-estimés eu égard à la sévérité croissante des réglementations, il convient de relever à court terme les exigences en matière de fonds propres pour les financements en cours. De telles exigences – différenciées en fonction notamment des risques financiers climatiques – sont pertinentes non seulement en vue de la stabilité du système financier, mais aussi dans d’autres domaines, comme le marché immobilier. De surcroit, on ne pourra financer des entreprises actives dans les combustibles et carburants fossiles que si elles s’engagent à transformer leur modèle d’affaires afin de le rendre compatible avec les objectifs climatiques de Paris.

  • Revendication Verte : interdire immédiatement d’investir, d’une part, dans des activités particulièrement nocives pour le climat et l’environnement, comme l’extraction de combustibles ou carburants fossiles, tels que pétrole ou gaz issus de sables bitumeux ou de la fracturation et, d’autre part, dans des entreprises qui les exercent.
  • Revendication Verte : les autorités de surveillance compétentes relèvent les exigences en fonds propres pour les financements en cours d’investissements particulièrement climaticides. Il convient également de durcir les exigences en fonds propres pour les crédits destinés à des entreprises ou activités non durables dans l’immobilier non optimisé énergétiquement.

Il faut non seulement arrêter de financer les investissements particulièrement nocifs, mais également évaluer les risques climatiques des flux de la place financière. Sur cette base, il sera possible de mettre au point des mesures étendues. De plus, il y a lieu de conclure avec les secteurs des conventions d’objectifs contraignantes, de les contrôler et d’intervenir en cas de résultats intermédiaires insuffisants.

  • Revendication Verte : adopter rapidement des prescriptions légales contraignantes qui engagent le marché financier à publier un plan de réduction du CO2 contraignant et compatible avec l’Accord de Paris sur le climat, p.ex. dans le cadre d’une loi pour une place financière durable.

Empêcher l’écoblanchiment

La demande en placements durables explose, l’offre suit. Les investisseuses ou investisseurs ont conscience que des placements durables sont d’importants moteurs de l’économie réelle et offrent des possibilités financières de transformer plus rapidement les processus ou produits pour les rendre écologiquement durables. Tout aussi grand est leur besoin de passer à l’action. Parallèlement, des études montrent que des fonds de placement soi-disant durables n’ont pas réussi jusqu’à présent à attirer nettement plus de capital dans une économie durable que les fonds traditionnels. Dans la plupart de ces fonds, on ne perçoit guère d’impact sur la durabilité et souvent ce n’est même pas le but, alors que cela correspondrait exactement aux attentes d’une majorité de la clientèle. Conséquence : un écoblanchiment dynamique et conscient, donc la simulation d’un impact sur la durabilité, se mêle à des produits sérieux et efficaces.

Par conséquent, empêcher l’écoblanchiment est une étape décisive, pour orienter les flux financiers de manière à atteindre les objectifs climatiques et soutenir entreprises et clientèle privée pour décider où investir et placer leur argent. Cela nécessite de définir clairement quelles activités économiques ou placements peuvent être considérés comme écologiquement et socialement durables. De plus, il faut impérativement rendre la durabilité de l’ensemble de l’entreprise et l’impact concret des placements (soi-disant) durables plus transparents. Enfin, les autorités de surveillance suisses, à savoir également l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA), sont appelées à user systématiquement de leur marge de manœuvre pour empêcher l’écoblanchiment et lutter contre la crise climatique et environnementale.

Définition contraignante et efficace de la durabilité

Une définition objective de la durabilité est la pierre angulaire des produits financiers durables. Sans elle, déterminer l’impact sur la durabilité est arbitraire et ouvre grand la porte à l’écoblanchiment. Cependant, il manque aujourd’hui une norme minimale commune et contraignante. Même le Conseil fédéral s’est toujours opposé à la concevoir, en invoquant souvent le projet d’un volet climatique à la taxonomie de l’UE. Celle-ci entend créer des critères contraignants pour déterminer si une activité économique ou un produit financier peut être considéré comme écologiquement durable. Elle doit servir d’aide à la décision pour les placements, réduire le risque d’écoblanchiment et fournir en capitaux la transformation écologique de l’économie et de la production d’énergie.

La taxonomie de l’UE indique la bonne direction et, dans le meilleur des cas, elle pourrait effectivement faire jouer à l’UE et à ses marchés financiers un rôle pionnier en finance durable. Cependant, la manière dont la Commission européenne envisage actuellement de la mettre en œuvre est inacceptable. C’est particulièrement évident lorsqu’elle veut considérer le gaz fossile et l’énergie nucléaire comme ressources durables en les taxant d’« activités transitoires ». À juste titre, le groupe Vert du Parlement européen a fait opposition : le volet climatique à la taxonomie de l’UE ne peut empêcher l’écoblanchiment que s’il ne désigne comme durables que les investissements qui le sont réellement.

Or, si la Commission européenne persiste en considérant aussi bien l’énergie nucléaire que le gaz fossile comme ressources durables, elle fait exactement le contraire : elle rend inopérant un label de durabilité en soi bon. Énergie nucléaire et gaz sont des ressources épuisables et, ne serait-ce que de ce fait, non durables. La combustion de gaz fossile chauffe de surcroît le climat et les déchets hautement radioactifs du nucléaire vont représenter une menace pour l’humanité et l’environnement pendant des siècles. De même, il est irresponsable, à cause de ces deux énergies, de nous rendre aussi dépendant-e-s de régimes autocratiques ou dictatoriaux, comme la guerre de la Russie contre l’Ukraine nous le montre crûment. Par ailleurs, cette taxonomie est totalement inutile pour quiconque veut investir de manière durable en excluant nucléaire et gaz. Si le Parlement de l’UE ne devait pas corriger le projet de la Commission, les VERT-E-S requerront une taxonomie véritablement écologique sans de telles « activités transitoires ». La Suisse doit exclure tant l’énergie nucléaire que le gaz fossile si elle reprend la taxonomie de l’UE. Ceci profiterait à moyen terme aux entreprises suisses d’électricité, puisqu’elles misent de plus en plus sur une production durable.

  • Revendication Verte : la Suisse reprend la taxonomie de l’UE en excluant l’énergie nucléaire et le gaz fossile.

Au cas où l’UE tarde à instaurer sa taxonomie – ou même y renonce, la Suisse a la chance de définir rapidement des normes minimales qui empoignent le problème de l’écoblanchiment que même le secteur financier admet et qui correspondent à l’approche réglementaire suisse, qui se base sur des principes. Pour ce faire, au lieu de vouloir tenir compte de l’extrême complexité de l’économie réelle dès le début, il est plus important de définir rapidement une norme minimale contraignante, que l’on pourra continuer à mettre au point. Et le minimum absolu comprend tant la compatibilité climatique avec l’Accord de Paris que le maintien de la biodiversité, bien trop souvent ignorée. Une telle déclaration ne doit pas être parfaite dès le début, mais être suffisamment bonne et surtout facilement compréhensible par quiconque. Elle peut p.ex. fonctionner comme l’étiquette énergétique pour les appareils électriques, en veillant à ce que les produits de transition – comme le titre d’une entreprise qui suit un plan de réduction de CO2 contraignant et contrôlé – soient déclarés comme tels.

  • Revendication Verte : une définition minimale et contraignante de la durabilité pour la place financière suisse doit être rapidement élaborée.

Etablir une déclaration globale de durabilité à l’échelle de l’entreprise

Il est possible de contrer l’écoblanchiment au niveau des produits à l’aide de critères de durabilité contraignants et efficaces (cf. chap. 4.1). Or, le problème de l’écoblanchiment ne concerne pas seulement certains produits financiers ou investissements, mais l’institut financier dans son ensemble. On pense à ces nombreux instituts qui se donnent un profil durable en promouvant abondamment quelques produits verts. Ils font ainsi oublier que la majeure partie de leurs activités commerciales n’ont absolument rien de durable et portent préjudice au climat, à l’environnement et à la population. C’est ce que montrent les deux tests sur la compatibilité climatique des caisses de pension et des banques qu’ont menés l’Office fédéral de l’environnement et la FINMA. Alors que p.ex. deux tiers des participant-e-s affirment suivre une stratégie climatique, ils ou elles continuent à investir dans l’extraction de pétrole ou de charbon, voire dans son extension.[11]

Afin de pouvoir placer ou investir de l’argent en toute connaissance de cause, un institut financier devra faire état de l’impact sur la durabilité de l’ensemble de ses affaires. Ceci permettra d’éviter que la clientèle amatrice de durabilité subventionne sans le vouloir les activités d’une entreprise financière nocives pour le climat et l’environnement ou enfreignant les droits humains.[12]

  • Revendication Verte : les protagonistes des marchés financiers doivent présenter une déclaration globale de durabilité à l’échelle de l’entreprise qui montre également quelles mesures permettent d’atteindre les objectifs de durabilité.

Double matérialité: intégrer l’impact sur le climat

Déterminer les risques climatiques se limite encore au risque d’une dépréciation, que p.ex. l’action d’une entreprise subit si le cadre politique du développement durable ou de l’environnement change. L’impact réel dû à l’activité d’une entreprise financière – soit son empreinte écologique – y est ignoré. Conséquence absurde : les actions p.ex. d’une entreprise pétrolière sont considérées comme durables, si celle-ci a annoncé la transition de ses affaires – même si elle ouvre de nouveaux gisements de pétrole.

Pour effectuer un placement durable, il est tout aussi important de considérer l’impact effectif sur la durabilité d’une entreprise que les risques d’une dépréciation future. Cette approche globale, intégrant les deux dimensions, est appelée « double matérialité ». Elle doit devenir la norme. Tant que ces deux dimensions seront déclarées séparément, une action responsable de la clientèle (privée ou institutionnelle) sur les marchés financiers est impossible.

  • Revendication Verte : la déclaration de la double matérialité d’un produit financier doit devenir la norme.

Ce n’est pas tout. Prendre en compte les risques climatiques devra explicitement faire partie des obligations fiduciaires des protagonistes financiers suisses, tels que banques, assurances, caisses de pension et gestionnaires de fortune, à l’instar du plan d’action de la Commission européenne visant à renforcer la durabilité du système financier.[13] Cette mesure non seulement contribue à réduire les risques climatiques, mais elle constitue une information importante pour les placements. En ajustant ses bases légales, la Suisse continue à garantir l’accès au marché européen.

  • Revendication Verte : intégration explicite des risques climatiques dans les obligations fiduciaires.

Garantir la déclaration de l’impact sur l’économie réelle

C’est très différent d’investir directement dans un produit financier qui a un impact concret sur l’économie réelle – p.ex. dans un projet d’énergie solaire – ou simplement dans l’action d’une entreprise durable. Dans ce dernier cas, on court un gros risque que rien ne change dans l’économie réelle, car ainsi on influence la valeur de l’entreprise mais pas son impact sur le climat. Par conséquent, considérer l’impact sur l’économie réelle d’un produit ou d’un institut financier dans son ensemble est un élément important pour empêcher l’écoblanchiment.  

  • Revendication Verte : déclaration de l’impact sur l’économie réelle des produits financiers .

Placer durablement l’argent de la prévoyance et des fonds publics 

Les instituts financiers sous mandat public et les établissements de la prévoyance étatique ou privée[14] ont des placements financiers inouïs, qui doivent être gérés et placés de manière durable. Les institutions en mains publiques, les établissements de prévoyance étatiques ou privés ainsi que les entreprises (para-)étatiques doivent non seulement se montrer exemplaires dans leur politique de placement, mais ils doivent également garantir l’argent géré et co-financer le tournant écologique. Pour ce faire, il leur faut élaborer une stratégie de placement proclimatique et axée sur les objectifs de l’Accord de Paris pour leurs capitaux et retirer complètement leurs investissements des énergies fossiles (désinvestissement).

Placer l’argent de la prévoyance de manière durable

Le volume inouï d’argent de la prévoyance que les employé-e-s ont accumulé joue un rôle décisif pour maîtriser la transformation écologique. Les établissements de prévoyance, tels que caisses de pension, fondations de placement et assurances gèrent actuellement des économies de plus de 1’000 milliards de francs – 350 milliards de francs de plus que le produit intérieur brut suisse.[15] Ce capital ne doit pas seulement rapporter, mais également assurer les conditions existentielles des générations futures. Une prévoyance bien comprise doit par conséquent intégrer l’impact global des placements financiers sur l’être humain et l’environnement – ceci ne serait-ce qu’afin de garantir la sécurité de l’argent de la prévoyance face à l’augmentation des risques financiers climatiques. Cependant les cotisant-e-sreprésenté-e-s au sein de la commission paritaire de leur entreprise – ne peuvent exercer une influence sur la stratégie de placement de leur caisse de pension que s’il est fait état de son impact global sur la durabilité et que celui-ci est un mandat de ladite stratégie.

  • Revendication Verte : un rapport complet sur la durabilité doit faire état en toute transparence de l’impact sur la durabilité de l’argent de la prévoyance placé sur les marchés financiers.
  • Revendication Verte : la durabilité des placements de l’argent de la prévoyance doit être avérée. Cela comprend notamment un retrait complet des placements ou investissements dans les énergies fossiles et une stratégie de placement qui soit au minimum compatible avec l’Accord de Paris sur le climat et ne nuise pas à la biodiversité..

Alors que la Suisse appartient aux économies les plus novatrices et prospères de la planète, elle se situe en-dessous de la moyenne pour financer de jeunes pousses. Il est indispensable de stimuler les investissements dans la transition écologique, afin de garantir la résilience et l’avenir de notre économie. Les établissements de prévoyance peuvent – grâce à leur volume inouï de placements – jouer ici un rôle décisif, lorsqu’il s’agit de rendre notre économie sociale, novatrice et proclimatique. C’est pourquoi les VERT-E-S veulent engager les établissements de prévoyance à investir en une décennie 1% de leur portefeuille de placements en capital-risque en faveur d’entreprises de technologie propre ou novatrices pour le tournant socio-écologique. Appliquer des critères stricts de durabilité permet à ces investissements de créer de la plus-value non seulement financière mais également socio-économique et écologique. Le capital de la prévoyance n’est placé de manière entièrement durable que s’il assure outre les rentes, également les emplois futurs dans un environnement intact.

  • Revendication Verte : les établissements de prévoyance investissent en une décennie 1% de leur portefeuille de placements en capital-risque qui réponde à des critères stricts de durabilité..

Placer l’argent public de manière durable

L’argent que la Banque nationale a placé sur le marché des actions – soit env. 200 milliards de francs – occasionne à lui seul au moins autant d’émissions de CO2 que l’ensemble de la Suisse.[16] L’effet de levier de l’argent public par tête en Suisse est sans commune mesure et pourtant on ne prend guère en considération les risques climatiques ni l’impact sur le climat de la Banque nationale suisse (BNS). Selon une étude du WWF[17], tant la BNS que la FINMA sont loin de satisfaire aux exigences de la crise climatique et de l’érosion de la biodiversité. Elles devraient enfin utiliser à fond les instruments de surveillance que leur offre la loi, afin de lutter efficacement contre la crise du climat et de l’environnement. De surcroît, la totalité de l’argent des autorités, établissements, entreprises (para-)publiques agissant sur mandat public – comme la Banque nationale suisse ou les banques cantonales – doit être le plus rapidement et systématiquement possible placé dans des investissements durables.

  • Revendication Verte : la durabilité des placements de l’argent public doit être avérée. Cela comprend notamment le retrait complet de placements ou investissements dans les énergies fossiles et une stratégie de placement qui soit compatible au minimum avec l’Accord de Paris sur le climat et ne nuise pas à la biodiversité.

Financement étatique de la transition

Il faut du temps pour poser le cadre d’une économie durable et c’est politiquement très périlleux, comme l’a montré le rejet de la loi sur le CO2 en Suisse. Parallèlement, la politique monétaire expansionniste des banques nationales produit des liquidités en surabondance. Étant donné qu’il n’est pas (encore) intéressant d’investir dans le développement durable de l’économie réelle, cet argent crée artificiellement de la fortune en augmentant la valeur de l’immobilier, gonfle le marché des actions ou sert à régler les intérêts négatifs. Cependant trop peu d’argent va dans le tournant énergétique ou la protection climatique. La place financière suisse investit actuellement p.ex. 2x plus de fonds dans des entreprises produisant du courant à partir de ressources fossiles telles que charbon ou gaz, que dans des entreprises produisant du courant renouvelable.[18]

C’est pourquoi des pays tels que la Grande-Bretagne, l’Allemagne ou l’Écosse mettent désormais davantage d’instruments à disposition pour financer la transition.[19] Un financement qui permet de surmonter une sorte de « Valley of Death » en matière de capital à court terme, mais qui a de bonnes perspectives à long terme. Or, la Suisse ne pourra pas faire l’économie d’un tel véhicule financier, endossant le risque du long terme que les banques d’affaires ne veulent et ne peuvent pas complètement prendre. Les pouvoirs publics et leurs institutions doivent soutenir de tels projets afin de rendre le tournant écologique équitable. L’argent nécessaire proviendra d’un fonds d’investissement nouvellement créé, comme le propose l’initiative pour un fonds climat en faveur d’un nouveau pacte Vert que vont lancer les VERT-E-S et le PS. Grâce à l’effet de levier d’un tel engagement, p.ex. via une banque d’investissement Verte destinée à financer des projets de transformation, il sera possible de mobiliser également du capital privé pour investir dans le tournant énergétique et climatique, atteindre les objectifs de durabilité de l’ONU et financer les adaptations au changement climatique à l’international.[20]

  • Revendication: création d’un fonds climat et d’une banque d’investissement Verte pour financer la transition et rendre l’avenir proclimatique et écoresponsable.

Conclusion: une place financière d’avenir

« La place financière suisse doit être une référence mondiale en matière de services financiers durables ». Cette citation n’est pas des VERT-E-S, mais du Conseil fédéral qui titre ainsi son communiqué annonçant l’adoption des lignes directrices concernant le développement durable dans le secteur financier en juin 2020.[21] Importante, cette affirmation est également nécessaire. Malheureusement elle ne correspond pas à la réalité : la place financière suisse participe à un réchauffement de 4°C à 6°C et ni le Conseil fédéral, ni le Parlement ne semble avoir la volonté d’y apporter un cadre réglementaire suffisant pour y remédier.

Cependant, il n’y aura bientôt plus de place pour un marché financier qui refuse de participer au développement durable et à la réalisation des objectifs climatiques de Paris. Une telle place financière porte préjudice à l’environnement, au climat et à la société. De surcroît, elle va être une nouvelle fois dépassée par l’évolution internationale, en raison de son inaction et de sa myopie, mais également d’un point de vue commercial car distancée par la concurrence de l’Union européenne p.ex. Ce manque de volonté de contribuer à résoudre les grands défis de ce siècle va de plus en plus se transformer en désavantage concurrentiel.